4. Les techniques de mesure locale

NooLib The Blog | le 02-10-2016
Catégorie : Biophysique
Une évaluation de la rigidité aortique régionale peut apportée des résultats différents quant à la rigidité locale de l’aorte. Nous avons vu que la mesure de la Vitesse d'Onde de Pouls (VOP) carotide-fémorale est en réalité une mesure de rigidité moyenne regroupant l’ensemble des artères traversées par l’onde de pouls, à savoir la carotide, l’aorte ascendante et descendante, l’aorte abdominale, l’artère iliaque et enfin l’artère fémorale. En particulier, une élévation importante de la VOP carotide-fémorale peut être la conséquence d’une augmentation de la rigidité d’un segment artériel particulier sans rigidification de l’aorte seule.


Figure 1. Valeur moyenne de la vitesse d'onde de pouls sur différents segments artériels pour un sujet jeune.


Sur la figure précédente, nous pouvons observer différentes valeurs de VOP, pour une personne en bonne santé, prises localement sur différents sites artériels. Il apparaît donc nécessaire de chercher à évaluer de manière plus locale les propriétés élastiques de l’aorte. Cependant, cela ne signifie pas qu’il faut abandonner les méthodes régionales au profit des méthodes locales. Il faut simplement garder à l’esprit ce que l’on souhaite mesurer. Il serait, dans ce sens, intéressant de compléter les méthodes régionales par des méthodes locales afin de pouvoir étudier et comparer l’évolution de la rigidité de l’ensemble de l’arbre aortique en fonction de l’évolution de la rigidité de chacune des artères qui le composent. De plus, même si les méthodes régionales ont l’inconvénient de ne mesurer que des moyennes de rigidité, les méthodes locales actuelles ont l’inconvénient de ne pas être accessible pour une évaluation en routine clinique car souvent trop complexes et trop coûteuses à mettre en place.

1. L’échographie Doppler ultrasonore


L’échographie est une technique d’imagerie employant des ultrasons. L’élément de base de l’échographie est une céramique piézoélectrique (PZT), située dans la sonde, qui, soumise à des impulsions électriques, vibre en générant des ultrasons. Les échos sont captés par cette même céramique qui joue alors le rôle de récepteur : on parle alors de transducteur ultrasonore. Un échographe est muni d’une sonde échographique, nommée barrette échographique, pourvue de 64, 96 voire 128 transducteurs ultrasonores en ligne. Les ultrasons sont envoyés dans un périmétre délimité (souvent trapézoïdal), et les échos enregistrés sont des signatures des obstacles qu’ils ont rencontrés. La fréquence des ultrasons peut être modulée : augmenter la fréquence permet d’avoir un signal plus précis (et donc une image plus fine) mais l’ultrason est alors rapidement amorti par l’organisme et ne permet plus d’examiner les structures profondes. En pratique l’échographiste a, à sa disposition, plusieurs sondes avec des fréquences différentes (de 1,5 à 18 MHz).

L’échographie permet une analyse locale détaillée de la carotide et des artères périphériques mais difficilement de l’aorte. Plusieurs indices peuvent être calculés permettant de caractériser les propriétés élastiques de la paroi vasculaire mais le plus intéressant reste la mesure de la compliance, notée C. L’évaluation de la compliance artérielle correspond au rapport de la variation de volume de l’artère sur la variation de pression à l’intérieur de l’artère, selon la relation :

C = \frac{dV}{dP}

Plus la paroi est rigide, plus la compliance de l’artère diminue. La mesure du diamètre, pour le calcul du volume, peut être obtenue en mode Echotracking de la paroi, c’est-à-dire par suivi automatique du déplacement de la paroi artérielle.
D’autres paramètres peuvent également être mesurés comme le module élastique en contrainte de pression Ep ou le coefficient β de distensibilité. Tous ces facteurs peuvent être directement rattachés aux propriétés intrinsèques de la paroi artérielle et fournir un bilan précis et local de la carotide et des artères périphériques.
L’étude de la carotide par Echotracking de la paroi permet également d’en déduire un indice de vitesse d’onde de pouls local à partir de l’estimation du module élastique de Young et de la distensibilité artérielle.
Cependant, bien que les techniques échographiques offrent des informations morphologiques utiles (visualisation de l’artère et de ses parois), elles ne peuvent pas être proposées dans le dépistage systématique et le diagnostic des maladies cardiovasculaires du fait de leur coût et de la durée de chaque examen. De plus, elles requièrent un haut niveau d’expertise de l’opérateur, ce qui nous éloigne considérablement d’une évaluation en routine clinique.

Le tableau suivant récapitule la liste des techniques standards actuellement disponibles pour l’évaluation de la rigidité artérielle.


2. L’imagerie par résonnance magnétique


L’Imagerie par Résonance Magnétique (IRM) utilise les propriétés des protons d’hydrogène de l’organisme placé dans un champ magnétique puissant et homogène et soumis à des impulsions de radio fréquence (RF). L’IRM permet l’acquisition d’images morphologiques dans n’importe quel plan de l’espace : le ou les plans d’acquisition sont pré-établies sur des séquences de repérage.

Ces images morphologiques permettent des mesures de distance,  comme des longueurs et diamètres de structures vasculaires. En imagerie vasculaire, les séquences de vélocimétrie par contraste de phase, synchronisée à l’électrocardiogramme, donnent accès à des informations morphologiques (diamètre vasculaire) mais également sur les profils de vitesse d’écoulement sanguin, avec une résolution temporelle de l’ordre de 1 à 10 ms. L’acquisition de ce type d’image peut être réalisée en apnée (15 à 20 secondes) ou en respiration libre (1 à 2 minutes). Un moyennage est effectué sur plusieurs cycles cardiaques afin d’obtenir le profil de vitesses. Le pied de l’onde de vitesse peut être ainsi identifié. Des mesures peuvent être réalisées en différents points de l’aorte (thoracique ascendante, descendante et abdominale). Le décalage de temps entre le pied de l’onde de vitesse par rapport à la distance entre deux sites de mesures permet de calculer la vitesse de propagation de l’onde de pouls.


Figure 2. Mesure de la VOP par IRM au niveau de l'aorte [2].


L’IRM permet donc de reproduire la mesure de la vitesse de l’onde de pouls localement au niveau de l’aorte. Une correlation moyenne est pourtant observée entre la VOP par tonométrie d’aplanation et la VOP par IRM. Ceci peut s’expliquer pour deux raisons :

La première est que la comparaison entre ces deux techniques impliquent une comparaison entre une méthode régionale (tonométrie) et une méthode locale (IRM). Nous avons vu, précédement,que la rigidité artérielle pouvait être différente entre chaque site anatomique (propriétés élastique différentes entre l’aorte et les artères périphériques) et qu’elle pouvait également évoluer de manière différente dans le temps et selon la pathologie étudiée. Il n’est donc pas surprenant de constater une corrélation moyenne entre une méthode locale et une méthode régionale.

La seconde raison est plus problématique puisqu’elle repose sur la technique même de l’IRM. En effet la résolution temporelle (de l’ordre de 1 à 10 ms) est très faible comparée à celle de la tonométrie. De ce fait, il existe une erreur de mesure importante dans la détection du pied de l’onde de vitesse, et qui se répercute sur la valeur estimée de la rigidité aortique.

Enfin, l’IRM est une technique gourmande en temps et requière une nouvelle fois la main d’un expert pour effectuer les mesures. Elle ne pourra donc pas être proposée pour une évaluation de la rigidité aortique en routine clinique. Cependant, notons toutefois un avantage majeur de cette technique est qu’il est possible d’estimer avec une grande précision la distance qui sépare les deux sites de mesure.

3. Mesure de la rigidité locale aortique par technique d’impédance bioélectrique


En complément de la mesure de la VOI par impédancemétrie, des laboratoires ont également développé une nouvelle méthode permettant d’accéder à la rigidité locale de l’aorte toujours à partir de l’étude du signal d’impédancemétrie [3-4].

Dans ce cas particulier, la rigidité locale aortique est déduite à partir d’une analyse très particulière du signal d’impédance enregistré au niveau du thorax. Cette analyse repose sur une approche très novatrice et totalement différente de la vitesse d’une onde. Dans ce cas, la rigidité aortique est considérée comme un large concept reflétant deux principales composantes du systèmes aortique : (1) les résistances locales exercées par le vaisseau sur la propagation du flux aortique (et défini par l’indice AoRes) (2) les propriétés élastiques de la paroi aortique en lien avec la distensibilité du vaisseau en phase systolique (et défini par l’indice AoDist).


Figure 3. Bilan énergétique d’une artère de conduction et représentation des composantes de la rigidité artérielle.


Ces deux composantes dépendent de la quantité d’énergie injectée par le coeur lors de la phase systolique et distribuée ensuite dans le réseau aortique. Ainsi, à chaque battement cardiaque, le ventricule droit propulse une certaine quantité d’énergie à travers l’aorte. En fonction des propriétés biomécaniques et hémodynamiques du système aortique, cette énergie va ensuite se répartir entre l’énergie cinétique (c’est-à-dire en lien avec le flux aortique) et l’énergie élastiques (c’est-à-dire en lien avec la distensibilité de la paroi aortique). En déterminant l’énergie totale apportée par le coeur et l’énergie cinétique durant la phase systolique, la quantité d’énergie élastique emmagasinée par la paroi aortique peut être déduite. Nos laboratoires ont montré que ces trois énergies pouvaient être évaluées à partir de l’analyse du signal d’impédance thoracique.

Les indices AoRes et AoDist proviennent de la mesure respective de ces énergies. Ainsi, l’indice AoRes est inversement proportionnel à l’énergie cinétique et l’indice AoDist est proportionnel à l’énergie élastique (voir figure 4). Par la suite, les indices AoRes et AoDist représentent respectivement les résistances locales du flux aortique et la distensibilité locale aortique. La combinaison de ces deux indices permettent d’en déduire la rigidité locale aortique (défini par l’indice AoStiff).
Cette nouvelle approche présente de nombreux avantages en comparaison avec les méthodes régionales (VOP ou VOI) et même locale (techniques d’imageries médicales). Premièrement, la simplicité de la technique d’impédancemétrie permet son utilisation en routine clinique sans compétences particulières requises de la par de l’opérateur. Sa rapidité d’utilisation (la mesure des indices AoStiff, AoRes et AoDist est réalisé en 2 minutes seulement) permet un gain considérable de temps et d’argent avec notamment une réduction du nombre d’électrodes utilisées. Par la suite, cette méthode locale pourra être proposé comme un complément d’étude à la mesure de la pression artérielle estimée à partir d’un brassard pneumatique en routine clinique.

Contrairement aux méthodes régionales effectuée en 2 points, cette méthode locale est réalisée en 1 seul point de l’aorte (c’est-à-dire au niveau de la crosse aortique). Par conséquent, la mesure de la distance entre les deux sites anatomiques n’est plus requise ce qui permet de rendre la mesure la rigidité aortique encore plus aisée et plus précise, notamment pour les patients en surpoids.

Enfin, la méthode locale par impédancemétrie permet une analyse différentielle des composants de la rigidité aortique (c’est-à-dire résistif et capacitif) à partir des indices AoRes et AoDist. La technique d’impédance bioélectrique pourra donc être proposé comme un outil de diagnostique performant dans l’orientation du diagnostic médical. En particulier, une augmentation de la rigidité locale aortique (AoStiff) pourra être couplé à une augmentation des résistances locale aortique (AoRes), ce qui conduira à un traitement de type hypertensif, ou à une diminution de la distensibilité locale aortique (AoDist), ce qui conduira à un traitement agissant sur la vasodilatation de la paroi des vaisseaux.

Référence(s)

[1] S. Laurent, J. R. Cockcroft. Arotic blood pressure. Elsevier. 2008.
[2] Laure Joly, Anna Kearney-Schwartz, Paolo Salvi, Damien Mandry, Ghassan Watfa, Gilles Karcher, Pierre-Yves Marie, Faiez Zannad, Athanase Bénétos. 235 Pulse wave velocity assessment by external non-invasive devices and phase contrast magnetic resonance imaging in obese subjects. Archives of Cardiovascular Diseases Supplements. 2010. Lien
[3] Mathieu Collette, Georges Leftheriotis, Anne Humeau. Modeling and interpretation of the bioelectrical impedance signal for the determination of the local arterial stiffness. Medical Physics. 2009. Lien
[4] Mathieu Collette, Alain Lalande, Serge Willoteaux, Georges Leftheriotis, Anne Humeau. Measurement of the local aortic stiffness by a non-invasive bioelectrical impedance technique. Medical & Biological Engineering & Computing. 2011. Lien

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